Robert Roth is a Professor of Criminal Law at the University of Geneva and Director of the Geneva Academy of International Humanitarian Law and Human Rights (one of my alma mata, and a tremendous influence on my thinking). He was the Presiding Judge of the Special Court for Lebanon between 2011 and 2013.
Je remercie James Stewart de sa sollicitation et de son autorisation/permission d’intervenir en français. Il se justifie d’autant plus d’intervenir dans une langue « continentale » que l’approche est essentiellement différente et que les concepts, même les plus importants, se traduisent malaisément. James m’a demandé de m’exprimer à partir du droit suisse et de l’usage que ce droit, passerelle entre les mondes francophones et germanophones, fait de l’expression « en vue de » de l’article 25 al. 3 lit. c) du Statut de Rome.
Je ne vais pas répéter ce qui a été bien exposé par mes prédécesseurs, en particulier quant à la distinction essentielle entre motifs (ou mobiles) et intention in actu ou quant au fait que l’imputation d’une intention se fait sous forme de dol direct quand un événement (la mort de tous les passagers de l’avion) est la conséquence inéluctable d’un acte délibéré (tuer l’un des passagers en faisant exploser l’avion).
En bonne doctrine suisse – et allemande dont la première subit l’influence déterminante -, la présence de l’élément subjectif « en vue de » permet de catégoriser l’infraction en tant que délit de dessein (Absichtdelikt). Cela signifie que, pour que l’infraction soit consommée, il suffit que l’auteur ait commis les actes énumérés dans la norme (tuer, soustraire, dénoncer faussement) en ayant le dessein d’obtenir un résultat (l’enrichissement illégitime dans le cadre du vol, provoquer l’ouverture d’une poursuite pénale dans le cas de la dénonciation calomnieuse). En revanche, il n’est pas nécessaire que l’événement désiré se réalise pour que l’infraction soit consommée : celui qui soustrait un objet sans parvenir à s’enrichir est bien un voleur.
Sur quoi doit porter ici le dessein prévu par l’article 25 al. 3 lit. c)? Il vise la facilitation de la commission d’un crime (facilitating [the crime]), et donc pas directement le crime. S’agissant du crime lui-même, les dispositions ordinaires de l’article 30 du Statut suffisent (cf. l’interprétation systématique des rapports entre 25 et 30 proposée de van Sliedregt/Popova dans leur contribution à la présente discussion). Dès lors, celui qui apporte son aide sans véritablement faciliter la commission du crime (par exemple il y a suffisamment d’armes, et l’arme fournie par le « complice » vient en surplus) serait-il punissable pour complicité consommée et non pour tentative de complicité, impunissable selon le Statut ? La question sera résolue au stade de la causalité objective : si les moyens fournis ne facilitent en aucune manière la commission du crime, le participant en sera resté au stade de la pure intention, fût-elle sous la forme qualifiée du dessein ; il est donc impunissable.
A quoi sert alors la qualification en tant que forme de participation à dessein ? Le dessein est une forme d’intention qualifiée. Le « complice » n’accepte pas simplement que son acte facilite la commission du crime ; il le veut au sens fort du terme. Le dessein se situe à l’opposé du dol éventuel, forme d’intention dans laquelle l’auteur s’accommode de la commission d’une infraction (il l’envisage et l’accepte), sans toutefois que son comportement tende à cette fin. La doctrine suisse et allemande s’est toujours interrogée sur la question de savoir si la forme du dessein éventuel était logiquement admissible. A mon sens, elle ne l’est pas, car il y contradiction entre les deux éléments (le dessein et son caractère éventuel). L’événement lui-même peut parfaitement avoir un caractère non inéluctable (exemple de l’ouverture d’une poursuite en cas de dénonciation calomnieuse) ; en revanche, l’auteur ne peut pas en même temps vouloir et ne pas vraiment vouloir.
Cela signifie que celui qui s’accommode simplement du fait que son assistance puisse faciliter la commission d’une infraction ne réalise pas à mon sens l’élément subjectif de 25 al. 3 lit. c). Ce point est important car il permet d’éliminer ce que la doctrine allemande appelle une simple Handlung mit Hilfetendenz (action tendant à prêter assistance) ; cf. Welz, Zum Verhältnis von Anstiftung und Beihilfe, Frankfurt am M. 2010, p.45.
J’aimerais encore intervenir sur un point soulevé à diverses reprises dans ce débat. Sur le plan conceptuel, j’ai énormément de peine à accepter la théorie de la « compensation » : il serait nécessaire de compenser la plus faible implication (objective, actus reus) du « complice » par une exigence plus élevée en matière subjective (mens rea). (On trouve un développement de cette thèse dans la contribution de Cassandra Steer). Cela me paraît un paralogisme : la thèse est d’abord discutable sur le plan de la légalité, puisque l’on donne à une norme d’imputation pénale une interprétation difficilement compatible avec son texte. Mais, surtout, les éléments objectifs et les éléments subjectifs ne relèvent pas de la même catégorie conceptuelle et on ne peut pas remédier à la relative légèreté des uns en invoquant la solidité des autres ; ce mélange des genres n’apporte guère de cohérence à un édifice déjà fragile. Le raisonnement me fait penser au raccourci, emprunté par certains législateurs, tendant à contourner les difficultés en matière de preuve par un assouplissement des éléments matériels de l’infraction ; là aussi, on mélange deux registres différents.
La démarche « compensatoire » est essentiellement justifiée par le fait que la commission du crime (article 25 al.1 lit. a)) et la « simple » participation (entre autres aiding and abetting) sont traitées de manière équivalente dans le Statut, en particulier au stade de la fixation de la peine. La justification ne me paraît pas convaincante : d’une part, le choix de ne pas distinguer dans le « texte législatif » (le Statut) n’interdit pas d’opérer une gradation au stade de la fixation effective de la peine ; d’autre part, dans les systèmes qui différentient entre action et participation à titre principal d’une part et participation à titre accessoire d’autre part, cette différentiation se fait généralement sur la base de critères purement objectifs (cf. Roth, « Responsabilité pénale individuelle pour délits collectifs : droit continental » in de Frouville ed., Punir les crimes de masse : entreprise criminelle commune ou co-action ? Bruxelles, 2012, pp. 55-71).
Reste posée la question délicate de la divergence entre l’infraction auquel le « complice » avait le dessein de prêter assistance et le crime réellement commis. A mon sens, le texte français, plus encore que le texte anglais, de l’article 25 al. 3 lit. c), impose une interprétation restrictive : au cas où le crime effectivement commis est différent du crime auquel le « complice » avait le dessein de contribuer, ce dernier ne pourra être condamné sur la base de l’article 25 al. 3 lit. c) (sur les diverses approches « continentales » en la matière, voir Roth, ibidem, avec en particulier l’approche beaucoup plus large du droit italien (article 116-117 CPI), selon lequel en substance si le délit commis est différent de celui qui avait été voulu par l’un des participants, celui-ci répond néanmoins du délit effectivement commis si ce dernier est la conséquence de son action ou de son omission, la doctrine commandant toutefois une interprétation restrictive selon laquelle la contribution au délit de celui qui est dépassé par la suite des événements est en elle-même fautive, en ce sens qu’un « homme raisonnable » aurait prévu la réalisation du délit, cf. G. Marinucci/E. Dolcini, Diritto penale, 2ème éd, Milano 2006, pp. 363).