Le pillage signifie le vol pendant la guerre. Curieusement, les articles, 8(2)(b)(xvi) et 8(2)(e)(v) du Statut de la CPI interdisent: « Le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut » Seul le premier de ces termes a une signification juridique. Les neufs autres commencent à causer énormément de confusion risquant de porter atteinte à la justice.
Voici quelques preuves de cette confusion:
- Le mois dernier, je participais à une conférence à Kinshasa, en République démocratique du Congo sur les crimes économiques en temps de guerre, où un procureur, pour lequel j’ai beaucoup de respect, a soulevé que l’inclusion « d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut » dans cette infraction, constitue un obstacle possible à l’application du pillage dans la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles
- Un certain nombre d’universitaires qui écrivent sur le pillage ont signalé cette formulation pour suggérer que cette infraction ne pourrait pas s’appliquer aux acteurs commerciaux impliqués dans l’exploitation illégale des produits issus du conflit ou pour indiquer que le crime de guerre de pillage dans le Statut de la CPI envisage clairement d’autres situations ; et
- Peut-être le plus étrange, dans le récent jugement contre l’homme politique congolais Jean-Pierre Bemba, la Cour pénale internationale a elle-même interprété les termes « une ville ou une localité, même prise d’assaut » comme signifiant que le pillage doit se produire à une certaine échelle pour être considéré comme tel.[1]
Après avoir passé un certain nombre d’années de recherches et après avoir rédigé un grand nombre d’écrits sur le pillage appliqué aux ressources naturelles (voir les fruits de ces travaux ici et un résumé d’une conférence là), je suis particulièrement en désaccord avec ce point de vue. Dans ce qui suit, je vous explique pourquoi je considère ces neufs mots supplémentaires comme juridiquement redondants, archaïques, inutiles et déroutants. En particulier, je donne cinq raisons pour lesquelles je suis de cet avis, dans le but de clarifier ce que je perçois comme une mauvaise interprétation regrettable, mais compréhensible.
Tout d’abord, les « Eléments des crimes » de la CPI, qui énonce les éléments juridiques requis pour chaque infraction dans le Statut de la CPI, ne fait aucune mention de la « ville », la « localité » ou l’ « assaut », ce qui implique que ces mots supplémentaires sont juridiquement redondants. Les Eléments des crimes se lisent comme suit:
- L’auteur s’est approprié certains biens ;
- L’auteur avait l’intention de spolier le propriétaire des biens et de se les approprier à des fins privées ou personnelles ; [*]
- L’appropriation s’est faite sans le consentement du propriétaire ;
- Le comportement a eu lieu dans le contexte de et était associé à un conflit armé international ou non international ; et
- L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé.
[*] Comme l’indiquent les termes « à des fins privées ou personnelles », les appropriations justifiées par les nécessités militaires ne constituent pas un crime de pillage.
J’ai exprimé mon désaccord sur un aspect particulier de cette définition, à savoir, les termes « pour usage privé ou personnel » (Voir ici, par. 16-17). Cependant, ce point n’est pas pertinent pour le sujet qui nous intéresse. Indépendamment de ce désaccord, il reste encore à noter que la définition des Eléments des crimes la CPI ne fait aucune mention de la « ville », la « localité » ou de l’« assaut ».
Deuxièmement, d’autres cours et tribunaux ayant poursuivi le pillage (sous les termes « pillage », « vol » ou « spoliation ») ne font jamais référence à la « ville », la « localité » ou l’ « assaut ». Les Statuts du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), par exemple, ne fait que lister le « pillage » parmi les crimes de guerre applicables dans leur juridiction.[2] Le fait que l’utilisation du terme de pillage par ces instances faisant autorité, n’inclut aucune référence à la « ville », la « localité » ou à l’« assaut » confirme que ce terme dans le Statut de la CPI est juridiquement vide de sens.
Troisièmement, la référence à « une ville ou une localité, même prise d’assaut » est archaïque et pratiquement obsolète. Cette formulation provient de l’article 28 du Règlement de La Haye de 1907 qui stipule que « le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut, est interdite ». Mais l’histoire derrière la disposition révèle que le libellé n’a pas de signification contemporaine – il couvre uniquement une ancienne exception qui n’a pas de pertinence pour la guerre moderne. En d’autres termes, il n’a pas de rôle normatif.
Aussi récemment qu’au 18ème siècle, le pillage était parfaitement légal.[3] L’interdiction subséquente est venue par étapes. Dans un premier temps, le pillage a été interdit, mais soumis à une exception importante. Comme l’explique Bentworth « l’ancienne coutume de pillage… était encore maintenue lorsqu’une ville fut assiégée après avoir été prise d’assaut; mais ce fut à titre de condamnation pour l’acharnement ».[4] Bien que le pillage était interdit, si une population locale réclamait une force d’invasion pour partir assiéger une ville, leur ville pourrait être pillée, si l’attaque s’avérait être un succès.
Dans un second temps, cependant, les lois de la guerre ont cherché à également abroger cette exception et interdire le pillage catégoriquement.
Ainsi, le Règlement de la Haye de 1907 met l’accent sur le fait que « le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut, est interdite ». Comme cette histoire le révèle, la formulation archaïque dans cette disposition était uniquement destinée à insister pour que l’interdiction, désormais étendue, englobe également l’exception; elle n’a jamais été destinée à limiter la proposition de base que le pillage signifie le vol pendant la guerre.
Quatrièmement, l’inclusion des références « ville », « localité » et « assaut » dans le Statut de la CPI était inutile, même si nous voulions rester fidèles au Règlement de La Haye de 1907. Un fait révélateur, est qu’une disposition différente dans le même Règlement de La Haye prévoit aussi de manière plus simplifiée que « le pillage est formellement interdit ».[5] La décision d’inclure la plus obscure, archaïque disposition est malheureuse. Faisant référence à la « ville », la « localité » et l’« assaut » dans le Statut de la CPI était donc un mauvais choix.
Cinquièmement et finalement, cette formulation est particulièrement déroutante. A première vue, elle semble incertaine, obsolète et basée uniquement sur une réflexion des expériences européennes de la guerre. Cette formulation a déjà naturellement induit en erreur certains des meilleurs procureurs, juges et universitaires travaillant dans le domaine. Mon seul espoir est que la mauvaise rédaction de cette composante du Statut de la CPI, qui est sans effet juridique, n’inhibe pas les applications de principe de la règle dans des cas appropriés.
[1] Voir Bemba Trial Judgement, par. 117 (indiquant que l’« Article 8(2)(e)(v) se rapporte au « pillage d’une ville ou d’une localité », et donc que le pillage d’une maison individuelle ne suffirait pas. »)
[2] Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, art. 4 (f); Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, art. 3 (f).
[3] En 1718, par exemple, Vattel pense que « ce n’est pas, en général, contraire aux lois de la guerre de piller et dévaster un pays ». Vattel, The Law of Nations, (1797), p. 291-292. Pour d’autres exemples, voir Grotius, Rights of War and Peace, pp- 332-334. Voir aussi, Takahashi, Cases on International Law During the Chino-Japanese War, 1899, pp.155-156.
[4] Norman Bentworth, The Law of Private Property in War, (1907), p.8. De même, Lawrence explique que pendant le Moyen Age, « lorsqu’un lieu a été pris d’assaut, il fut livré au pillage et au vol, sans aucune tentative pour empêcher les passions des soldats victorieux menés par leurs commandants » Lawrence, Principles of International Law (1899), p.38.
[5] Hague Regulations 1907, art. 47.